Heureux Comme Jamais by Andrés Trapiello

Heureux Comme Jamais by Andrés Trapiello

Auteur:Andrés Trapiello [Trapiello, Andrés]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782710365174
Google: 6_CFtgAACAAJ
Amazon: 2710365170
Éditeur: TABLE RONDE
Publié: 2011-10-19T22:00:00+00:00


ONZE

Ce soir-là, Agustín me trouva en train de travailler dans le salon. Il était rare qu’il rentre avant moi. Je crois que cette image de sa femme, un casque sur les oreilles, à écouter de la musique en travaillant, résumait toutes ses craintes : j’étais sortie de sa vie. Il me faisait de la peine et c’est bien pour cela que Max et moi avions décidé de précipiter le dénouement.

Il agita devant moi des billets d’avion et me demanda comment j’allais. Je voyais bouger ses lèvres sans le moindre son. Je lui souris, hochai la tête, agitai la main en guise d’excuse et haussai le ton pour me faire entendre par-dessus la musique que j’étais pourtant seule à entendre. Je lui fis signe que je n’en avais plus pour longtemps.

Agustín posa sa mallette sur une chaise et quitta précipitamment la pièce, cachant tant bien que mal sa mauvaise humeur. Il n’avait pas l’habitude d’être traité avec ce manque de tact ou cette désinvolture qu’il attribuait chez moi à de nombreux facteurs : mon caractère, ma jeunesse, ou ma façon d’être. « Tu te crois plus belle et intelligente que tu ne l’es », m’avait-il dit plusieurs fois, sur un ton dédaigneux alors que je n’ai jamais pensé être ni l’un ni l’autre. Au contraire. Je suis bourrée de complexes.

Le temps qu’il revienne, je lui avais préparé un whisky et toutes ses craintes disparurent sur-le-champ. Il me montra de nouveau les billets pour Madras. Agustín savait, comme moi, que nos liens étaient ténus : des week-ends à la campagne, des voyages, l’adoption d’une petite fille. Mais contrairement à moi, il croyait – ou voulait croire – que cela suffisait et était loin de penser que la chaîne de notre couple pût se rompre d’un instant à l’autre. Notre relation était peut-être morte mais de son point de vue, ce n’était pas un obstacle puisque la majeure partie des couples ayant cessé de s’aimer arrive quand même à vivre ensemble en paix jusqu’à ce que la mort les sépare. Augustin parlait en connaissance de cause : il avait déjà été marié à deux reprises. Et s’il n’avait pu rester ni avec l’une ni avec l’autre de ses femmes précédentes, c’était simplement, comme il me l’avait avoué une fois, qu’aucune d’elles n’était « aussi belle ni aussi intelligente » que moi. On constatera que cet argument pouvait aussi bien me servir que me desservir.

Quant à l’adoption, c’était décidé. J’avais cédé aux arguments de Max. Agustín et moi adopterions Devi, la petite fille hindoue. Je laisserais passer quelques semaines et dirais alors la vérité à Agustín : je ne l’aimais plus. Le connaissant, il ne s’opposerait pas à me laisser la garde de l’enfant et serait bien obligé d’accepter le divorce. Peut-être renâclerait-il au début mais, dans le fond, il savait comme moi que notre relation était au bout du rouleau. Une trace de rouge à lèvres trouvée sur son col de chemise quelque temps auparavant ne m’avait même pas indignée comme elle aurait logiquement dû le faire.



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